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Une architecture en mouvement

Un chantier majeur s’achèvera en Île-de-France cette année.
Celui des Tours DUO. Deux bâtiments “hors norme”.
Et le qualificatif prend ici tout son sens.

le chantier des Tours DUOle chantier des Tours DUO

Imaginées par l’architecte Jean Nouvel, les Tours DUO souhaitent incarner un nouveau souffle urbain et l’envie d’une nouvelle qualité de ville. Situées à deux pas de la Seine, la tour “DUO 1” affichera 180 mètres et 39 étages et la tour “DUO 2” 122 mètres et 27 étages. Les deux bâtiments s’élèveront au-dessus du périphérique parisien, à l’entrée du quartier de France où se trouvent déjà des immeubles à l’architecture originale, dans l’alignement des grandes universités parisiennes, de la Bibliothèque Nationale de France et de la station F, incubateur de start-up. Pour les concepteurs du projet, "ces deux tours souhaitent signifier un continuum entre les villes de Paris et d’Ivry et fixer un nouveau repère urbain pour l’un des pôles majeurs du Grand Paris. Elles s’inscrivent dans un environnement insolite, celui d’une friche ferroviaire dont elles révèlent la beauté insoupçonnée en dotant l’avenue de France d’un point focal inédit, grâce à une inclinaison de cinq degrés de l’une des tours." Car au-delà de la localisation particulière, entre la Seine, le périphérique parisien et les voies SNCF, c’est bien l’inclinaison des bâtiments qui donne à cette réalisation son caractère totalement atypique tant pour la construction que pour l’effet optique final. Jean Nouvel, architecte, souligne qu’il a voulu "jouer avec les reflets, de jour comme de nuit. Les trains qui roulent sur les voies ferrées, les phares blancs et les feux rouges des voitures sur le périphérique se réfléchiront sur les façades miroitantes. La légère inclinaison de DUO permettra d’aller chercher ces jeux d’optique et de multiplier les images en mouvement. Les tours se pencheront comme si elles passaient la tête par la fenêtre pour regarder la perspective de l’avenue de France. Et elles dialogueront, comme deux danseuses en équilibre qui se préoccupent de leur environnement." Pour ses concepteurs : "les Tours DUO seront sans aucun doute l’une des nouvelles destinations touristiques plébiscitées en offrant un point de vue et des expériences encore inédites au cœur de la capitale. Perceptibles à l’échelle du grand paysage francilien, elles symbolisent le renouveau et une forme d’audace économique et urbanistique dans un univers de compétition européenne des métropoles.

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“Comme deux danseuses en équilibre”

L’une des originalités majeures du projet réside dans l’effet d’optique créé par l’inclinaison des structures. Une inclinaison de 5 degrés, soit un peu plus que la célèbre tour de Pise qui affiche 4,5 degrés. Ce choix architectural “penché ” induit bien entendu toute une série de de contraintes sur les outils de coffrage, le montage des structures ou les outils qui permettent de construire, notamment les grues, tant pour leur ancrage, leur montage ou leur positionnement pour éviter les problèmes de télescopage. Ici, le qualificatif “hors norme” n’est pas exagéré, et si l’on peut dire, les ateliers Jean Nouvel n’ont pas simplifié la tâche des bâtisseurs ! Chaque tour a sa propre personnalité sa propre architecture. Aucun niveau n’est construit à l’identique. Pour les fondations profondes, il a fallu évacuer 100 000 mètres cubes de terre et réaliser 32 000 mètres cubes de béton. Évidemment, la structure inclinée des tours induit des efforts inhabituels et a des incidences sur les structures et sur les dimensions des ouvrages. Et l’habillage extérieur n’est pas en reste côté innovation et complexité. L’une des façades de DUO 1, côté voies de chemin de fer, présente des “écailles” qui permettent de créer un reflet qui évolue en permanence. Comme un dialogue avec l’environnement proche. Sur ce côté du bâtiment, on retrouve une quinzaine de typologies différentes : des façades double peau, des façades simple peau mais avec des traitements de couleur différentes, des brise soleil droits ou ondulés... Le projet se veut aussi exigeant en termes de bien- être et respectueux des enjeux environnementaux. Par exemple, plus de 6000 m3 d’eau par an seront réutilisés en récupérant les eaux grises générées par l’hôtel et seront traitées pour les sanitaires des bureaux. Il s’agira également pour les bâtiments de récupérer l’énergie produite par les ascenseurs en phase de descente. Au total, les deux tours produiront près de 170MWh par an, et réduiront de 28 % l’impact carbone entre le début de la conception du projet et sa réalisation. Pour l’architecte Jean Nouvel, il s’agit : “d’affirmer un caractère et une singularité en relation avec la réalité du site. Les immeubles de grande hauteur environnants des décennies précédentes sont étêtés, leurs toitures terrasses ne sont pas accessibles. Nous construisons un sommet et même deux sommets. Un sommet a une tête, un profil qui l’identifie. C’est pour cela que les deux têtes de nos deux protagonistes sont expressives, vivantes, que ce duo dialogue et qu’il parle aussi à ses sympathiques voisins...”

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“La richesse humaine associée autour d’un projet hors norme”

Pour en savoir plus sur les coulisses de ce chantier atypique et original des Tours DUO, Action a rencontré Jean-François Delmas, directeur des travaux chez BATEG, filiale de VINCI Construction France. Un projet développé par Ivanhoé Cambridge.
Action
: Ce chantier est exceptionnel à plus d’un titre. La thématique de l’inclinaison, le site et la période sanitaire si complexe. J’imagine que l’inclinaison génère beaucoup de recherches, d’ingénierie et d’innovation ?
Jean-François Delmas : Effectivement c’est atypique de construire penché. Ça n’est pas commun et cela se répercute sur l’ensemble du bâtiment, de ses fondations les plus profondes jusqu’aux derniers niveaux que nous sommes en train de réaliser. C’est un savant équilibre et une maîtrise permanente de tous ces éléments. Sous le bâtiment, il y a neuf niveaux de sous-sol que l’on ne voit pas et qui eux-mêmes sont appuyés sur un réseau de fondations extrêmement profondes dans un environnement qui est plutôt assez humide puisque l'on est proche de la Seine avec une nappe phréatique assez présente. Les fondations ont été dimensionnées pour recevoir le poids de la tour mais également les efforts induits par l’inclinaison. Techniquement, certaines fondations travaillent à l’arrachement, par frottement contre la terre et non pas en compression comme on a plus l’habitude de l’observer. Le 2e sujet structurel amené par l’inclinaison, c’est qu’on a une colonne vertébrale, un noyau comme on le retrouve dans toutes les tours, mais qui a la particularité d’être extrêmement massif. Du fait de l’inclinaison et de la superficie de la tour, on a un noyau central qui est très impressionnant avec des dimensions supérieures à celles d’une tour classique. Pour donner un ordre d’idée par rapport à toutes les autres tours que le Groupe a pu réaliser ces dernières années, que ce soit Trinity, Saint-Gobain et Granite dans le quartier d’affaires de la Défense, ou la tour la Marseillaise dans le quartier Euroméditerranée à Marseille, nous sommes ici sur un noyau qui est deux fois et demi plus gros qu’un noyau habituel.
Action : Cela veut-il dire que c’est deux fois et demi plus compliqué à réaliser ?
Jean-François Delmas : Non, mais en revanche, cela complexifie les journées. C’est plutôt comme ça qu’il faut le voir. Dans une tour classique, la cadence est forte. Là nous sommes sur la même cadence avec des tâches plus complexes à réaliser. Enfin, le dernier aspect structurel lié à l’inclinaison réside dans la conception des planchers qui constituent des plateaux de travail extérieur. La première grande partie de la tour a été réalisée en béton avec des planchers en dalles alvéolaires précontraintes. L’idée est de profiter de l’alvéole pour alléger la structure. Mais, avec l’inclinaison, comme le bâtiment avance dans un certain sens et que le noyau, la colonne vertébrale est droite, forcément la distance s’allonge et au bout d’un moment le béton n’a plus la capacité de franchir la portée. À partir du 16e étage il y a eu un changement de structure partiel et une partie du bâtiment est passée en charpente métallique. Matériau qui permet d’avoir des portées plus importantes. Et là où cela devient extrêmement “pétillant” dans ce chantier, c’est que l’inclinaison définie par les architectes est capricieuse ! Du rez-de-chaussée au 28e étage elle est dans un sens et au 28e étage, elle change de sens. Et ce changement nécessite structurellement un plancher transfert qui globalement ressemble aux fondations des derniers niveaux.Techniquement, c’est un vrai défi correspondant à un changement de rythme structurel. Il permet de faire transiter les efforts qui descendent de la tête de la tour dans ce plancher et de les ramener sur la colonne vertébrale du noyau. Réalisé en août 2020, ce 29e étage a été un véritable morceau de bravoure. Pour résumer, l’inclinaison du bâtiment se résume en quatre grands axes : les fondations ; le noyau extrêmement gros ; l’apparition de la charpente et la cassure du 29e étage.

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“Réussir collectivement”

Action : Les mots “pétillant”, “bravoure”, semblent bien résumer l’enthousiasme qu’il y a à travailler sur un tel projet, malgré les contraintes et les enjeux ?
Jean-François Delmas : Forcément ! Pour tous les membres de l’équipe et des différentes entreprises, il y a un sentiment de fierté de participer à la construction de tels ouvrages. Fiers, même si c’est laborieux, au sens étymologique du terme. C’est un long marathon que l’on court quasiment en sprint. Et face aux difficultés ou aux impondérables que nous avons l’habitude de gérer, la notion d’équipe est très forte. Je connais certains membres de l’entreprise depuis plus de quinze ans. Nous avons passé des mois, des années, sur des chantiers comme Paris La Défense Arena ou la tour Granite par exemple. Et ce sentiment de proximité, presque de “famille”, permet souvent collectivement de réussir des choses qu’individuellement nous ne penserions pas possible. C’est ça le côté pétillant, toute cette richesse humaine associée autour d’un projet exceptionnel.
Action : À chantier exceptionnel, localisation particulière ! Périphérique, voies ferrées, proximité de la Seine..., ça complexifie la construction ?
Jean-François Delmas : La logistique d’un chantier et les accès sont toujours un peu complexes. Effectivement, le site est étroit mais c’est la contrainte parisienne habituelle. On s’adapte ! On repousse un peu les murs, on occupe tout l’espace que l’on peut trouver au sol. Et quand il n’y a plus de place, on en invente ! Nous avons créé, grâce à une voie intérieure peu visible, une plateforme logistique qui nous permet de gérer tout le flux de béton et d’évacuer tous les déchets du site.
Action : Même si vous êtes toujours en phase de construction avec en ligne de mire une fin de chantier en 2021, avez-vous en tête un mot particulièrement fort ?
Jean-François Delmas : C’est très dur d’en retenir un car jusqu’à présent, cela a été l’enchaînement de plein de succès. Mais pour l’instant, pour moi, c’est le mois d’août 2020. Quand nous avons réalisé le 29e étage qui correspond à la cassure de la tour dans son inclinaison. Architecturalement, elle change de sens. Cet étage est venu ponctuer les succès préalables. Il nous en reste encore quelques-uns à réussir, mais ce fut une belle étape.

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